" Je n'avais jamais entendu
ce style de musique appliqué au cinéma avant que je n'en fasse la tentative. Je
travaille instinctivement, et c'est particulièrement vrai au plan musical, cela
n'a rien d'intellectuel, c'est seulement très émotionnel. J'improvise presque
tout, et cela surgit instinctivement du musicien qui sommeille en vous. C'est
aussi une forme d'expression non littéraire. La musique occupe une grande place
dans ma vie, et j'ai seulement trouvé préférable de composer personnellement les
bandes originales de mes films". John Carpenter
Né en 1948 à Carthage (Etat de New York – Etats Unis), John
Carpenter passe son enfance à Bowiling Green (Kentucky). Il caresse secrètement le rêve de
faire du cinéma. Après avoir découvert en 1956 « Forbidden Planet » à
la télé, il décide de devenir metteur en scène. Il utilise alors vers 14 ans la
caméra familiale super 8 et avec quelques amis réalise quelques films qui ont
pour titre « Revenge of the colossal beast », « The warrior and
the demon », « Sorcerer from outer space ». Son père musicien
lui apprend également très tôt la musique et Carpenter réalisera par la suite
la majeure partie de celles de ses films. Bercé entre la musique et le cinéma,
il réussira le tour de force à concilier habilement les deux arts. En 1968, il
entre à l’University of Southern Californiaoù il côtoiera quelques réalisateurs prestigieux (Orson Wells, Howard
Hawks, John Ford, Alfred Hitchcock, Roman Polanski…). En 1970, dans le cadre de
l'université, il réalise son premier court-métrage officiel, « Resurrection
of Bronco Billy » (un western). Il obtient pour son travail l'Oscar du
meilleur court-métrage ! Il quittera l’université 4 ans plus tard avec un
diplôme en poche.
C’est en 1976, alors qu’il a déjà réalisé un court-métrage
de 40 minutes intitulé « Dark Star » (à l’origine le titre était
« Electric Dutchman » et s’est vu prolongé pour devenir un vrai film
d’une heure et demie grâce à des investisseurs subjugués par son talent), qu’il
se signale en proposant « Assaut » , un film
de série B, remake urbain du « Rio Bravo » d’Howard Hawks. Petit clin
d’œil à cet illustre metteur en scène, Carpenter signe d’un pseudonyme le
montage de son film par John T. Chance, le personnage incarné par John Wayne
dans "Rio Bravo".
Immédiatement, Carpenter obtient le respect de ses pairs,
contrairement à celui du public qui sera plus tardif à venir (exception faite
de la Grande-Bretagne). Le tournage n’a duré que 20 jours, avec un calendrier
serré qui aura même raison de la résistance de Carpenter (il aura un malaise
après 24h non-stop de tournage). Très éprouvé physiquement, disposant d’un
budget minimaliste, Carpenter par soucis d’économie en sera réduit à écrire la
musique. On retrouve déjà beaucoup d'éléments du cinéma de Carpenter dans ce
film : la fascination pour les couloirs et les espaces clos, la prédominance de
l'action sur l’explication (on ne saura jamais vraiment pourquoi le
commissariat est assiégé tout au long du film). Lorsque Carpenter présente son
film à la commission de censure, il manque d’être classé X car une scène montre
l’assassinat d’une petite fille. Il accepte de couper le plan mais son
distributeur oublie d’amputer ces fameuses 3 secondes ! Plus incroyable encore,
le film sort dans les salles en version intégrale sans que la commission de
censure ne s’aperçoive de rien ! Etrange également que le film fut parfois
perçu comme raciste par certaines critiques américaines (il ne faisait que de
décrire l’inquiétude américaine suite aux émeutes de Watts en 1969).
En 1977, Carpenter et Debra Hill,
son amie qui l'aide à écrire des scénarios, se promènent en Angleterre
où « Assaut» est présenté. Pour tuer le temps, ils font une petite
ballade dans la lande anglaise du côté de Stonehenge. C’est alors qu’un
brouillard épais se dirige vers un château en ruine : l’idée de « Fog
» germe dans leurs esprits, mais ils se retrouvent confrontés à un
problème. Le budget des effets spéciaux ne peut pas suivre, l’idée est alors
mise de côté.
1978 : Carpenter se dirige vers la télévision en
réalisant un téléfilm intitulé « Meurtre au 43ème étage ».
Il rencontre sa première femme Adrienne Barbeau qui tournera dans la plupart de
ses films. Il signe également des scénarios mais s’aperçoit qu’il ne
dispose pas de toute la latitude qu’il souhaiterait avoir et décide de devenir
indépendant. Il réalise alors un impressionnant morceau de cinéma fantastique
avec « Halloween
ou La Nuit des Masques »
(deux titres différents pour le même film). Scénario écrit en 8 jours, 300 000 $ de budget
(ridicule pour un pareil film), musique composée une nouvelle fois par
lui-même, une bombe est lancée. Encore aujourd’hui, certaines critiques
considèrent « Halloween
ou La Nuit des Masques » comme le plus grand film fantastique de tous les
temps. Le succès commercial est au rendez-vous et Carpenter a réellement trouvé
ses marques.
En 1980, Carpenter qui a gagné énormément d’argent peut
enfin réaliser le film qui lui tenait à cœur depuis 3 ans. Mais « Fog
», malgré un scénario plutôt intéressant, obtient un succès mitigé.
Très bon pour certains, décevant pour d’autres, il était évident que le
réalisateur ne pouvait difficilement mieux faire que « Halloween
ou La Nuit des Masques ».
« Fog
» est en fait de facture classique, ni plus ni moins.
En 1981, « New
York 1997 » débarque sur les grands
écrans. Western futuriste (avec Lee Van Cleef « Le bon, la brute et le
truand »), Carpenter trouve enfin un héros digne de ses espérances.
Incarné par Kurt Russel, Snake Plisken est un anti-héros cynique et désabusé
évoluant dans un monde de chaos. Motivé par une unique raison, sa survie, il
choque profondément le public qui pourtant ne le déteste pas, bien au
contraire ! Carpenter donne également une vision très négative du pouvoir,
puisque le président est un pleutre. On peut dire que son film est
politique mais juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans les excès.
Sous-estimé pourtant, « New
York 1997 » n’en reste pas moins une
féroce satire sur la société du futur… Comme d’habitude, le film connaîtra un
succès de nombreuses années plus tard.
C’est en 1982 que Carpenter retrouve Kurt Russel pour
« The
Thing » un remake d’Howard Hawks. Formidable huis clos, c’est
un chef d’œuvre, presque aussi bien que « Halloween
ou La Nuit des Masques ». Cette fois-ci,
la menace vient de nous-même, elle est peut-être en chacun de nous et évolue
comme une maladie. Film gore, de terreur, il est aussi efficace que
« Alien » voire même supérieur pour certains cinéphiles. Incompris
une nouvelle fois lors de sa sortie, Carpenter en demeura d’ailleurs
profondément affecté estimant que ce film est le meilleur qu’il n’ait jamais
conçu. Il réussit même à imposer une fin anti-commerciale et actuellement
Hollywood est près à faire un pont d’or au cinéaste pour la suite de cette histoire.
Mais les exigences de Carpenter sont très élevées, peut-être un peu par rancune
avec ceux qui ne l’avaient pas soutenu à l’époque.
Puis en 1983, Carpenter sort « Christine »
l’histoire d’une voiture maléfique. Stephen King en avait écrit l’histoire, et
Carpenter l’a transcrite de son mieux. Pourtant, il ne fut pas satisfait de son
travail, il avait omis volontairement de parler par exemple du propriétaire du
véhicule qui apparaît sur la banquette de la voiture, et il regretta de n’avoir
poussé plus loin l'histoire terrifiante. Déçu par « Christine » qui
est pourtant un très bon film, et attristé par les résultats médiocres de
« The
Thing », Carpenter traverse une profonde crise d’identité et
décide de changer de registre.
Il s’attelle alors à « Starman » en 1985, qui est
un road-movie romantique sur fond de science fiction. Film sympa, avec une
nomination pour l’excellent Jeff Bridges aux Oscars, c’est une nouvelle fois un
échec commercial et la Columbia met un terme à son contrat avec Carpenter.
Toujours en crise d’identité, un an plus tard, Carpenter se
lance dans un projet loufoque avec « Les Aventures de Jack Burton dans les
Griffes du Mandarin ». Kurt Russel fait partie de la distribution et
s’auto-parodie en interprétant un anti-héros pour le moins amusantFilm agréable prenant une nouvelle fois à
contre-courant les idées hollywoodiennes, il n’attire pas les spectateurs et
déclenche les foudres de la critique. Nouvel échec.
Carpenter, écœuré, très désappointé, décide de retourner à
ses premières amours. Après une remise en question bien nécessaire, il retrouve
sa liberté en lâchant les majors américaines pour redevenir le cinéaste
indépendant qu’il était. « Prince des Ténèbres » est sans
concession : à prendre au 1er degré, c’est un film brutal
d’horreur avec l’apparition une nouvelle fois de Donald Pleasance. Le plus
sous-estimé de ses films sera en fait le déclencheur pour Carpenter de libérer
une rage intérieure bénéfique.
En 1988, révolté par les résultats décevants de ses films,
de l’apathie du public à se cantonner dans les moules cinématographiques
hollywoodiens, Carpenter sort la grosse artillerie avec « Invasion Los
Angeles ». Au passage il dénonce férocement l’amorphie dans laquelle
semble se complaire la société. L’histoire d’un chômeur appelé John Nada, qui
découvre que la société est envahie d’extraterrestres ressemble un peu à sa
propre histoire. Le combat d’un homme seul contre le reste du monde pour
prouver la véracité et le bien fondé de ses propos. Même si son film obtient d’excellentes
critiques et un succès honorable, la reconnaissance ne viendra que bien plus
tard, certains trouvant les propos de Carpenter un peu trop extrêmes. Mais ce
film a au moins le mérite de remettre dans les rails Carpenter, qui respire un
bon coup ! A noter, la scène de baston la plus chiante jamais réalisée
car interminable,
mais au combien jouissive finalement (indispensable, à voir obligatoirement).
Après « Invasion Los
Angeles » Carpenter travaille
sur plusieurs projets qui finalement n’aboutissent pas. Il traverse 4 années de
galère, entre son divorce et la santé chancelante de ses parents. Il réalise
« Les Mémoires d’un Homme Invisible », petit film sans prétention. Le
tournage sera ponctué d’accrochages entre l’acteur vedette qui est également le
producteur et Carpenter. Cette fois, lassé, Carpenter décide d’arrêter le
cinéma.
Mais deux années plus tard la tentation est trop forte. Il
réalise un téléfilm « Body Bags » en 1993, pas vraiment nécessaire.
Tout le monde le pense alors fini. Mais dans un dernier sursaut d’orgueil,
Carpenter frappe de nouveau avec « L'Antre de la Folie » et
enfin ! les critiques font preuve d’engouement. Evidemment le public à lui
du mal à suivre… L'étiquette série B dans le sens le plus péjoratif du
terme colle à la peau de Carpenter. Pourtant c’est un excellent film
fantastique, avec sa dose de gore bien distillée que nous propose le cinéaste.
Clin d’œil à Stephen King, il narre l’aventure d'un détective à la recherche
d’un écrivain qui a disparu et qui arrive dans une ville étrange d’où il ne
peut s’échapper. A découvrir pour tout véritable fan de cinéma fantastique.
L’année suivante, après l’ambitieux et extrême
« L’Antre de la Folie », Carpenter enchaîne avec « Le Village
des Damnés » un remake pas vraiment indispensable. Des enfants extraterrestres
dont peu de personnes soupçonnent l’existence sont élevés dans une ville en
prévision de dominer le monde qu’ils jugent inférieur à leur nature.
L’apparition de Christopher Reeve donne du piquant à ce film, d’autant qu’il
ne sortira pas vivant de cette histoire. Une curiosité mais sans plus.
En 1996, « Los Angeles 2013 » voit le jour. C’est
un remake-suite de « New
York 1997 » et Carpenter place la barre très
haut. Il se fait entourer d’un casting très diversifié. Kurt Russel participe
également à l’écriture du scénario, notamment des dialogues et de la fin du
film. Debra Hill présente au commande aide le cinéaste à retrouver toutes ses
marques. Tout en restant un excellent divertissement (la scène de surf !),
Carpenter écorchera au passage la société américaine et dénoncera le fascisme
grandissant aux Etats-Unis. Un bon Carpenter, mais pas aussi intense que la
première version originale.
Puis en 1998, « Vampires » apparaît sur les écrans
et se décrit comme étant le plus « westernien » des films de
Carpenter. Au passage, on égratigne bien volontiers le capitalisme, mais aussi
l’Eglise. Le premier quart d’heure de ce film est exquis et le mélange des
genres western-vampires très réussi.
« Ghosts of Mars » apparu en 2001 subit une fois
n’est pas coutume bien sur un succès mitigé. Loin d’être une œuvre majeure de
Carpenter, ça n’en demeure pas moins un bon film, mais pour la énième fois, il
ne s’attire pas les grâces du public.
C’est actuellement que le renouveau « Carpenter »
semble porter ses fruits. La vente des DVD, l’attraction des jeunes vis-à-vis
de ce réalisateur plutôt méconnu nous montre que Carpenter est loin d’être
l’homme fini que bon nombre de personnes craignaient. Alors on peut se poser la
question : quel va être le futur de ce réalisateur mythique ? On est
tous suspendu à une éventuelle suite de « The
Thing » et au prochain
film qui pourrait voir le jour. Carpenter est sans consensus avec les
traditions, et c’est bien cela qui en fait un réalisateur culte.
Pour tous fans de Carpenter, je vous
conseille la lecture suivante : John Carpenter, Mad Movies hors série N°1, collection
réalisateurs pour un prix d'environ 7 Euros