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   fiche technique :  

 

          Antarctique, hiver 1982. Un hélicoptère poursuivant un chien dans la neige avec à son bord un tireur essaie vainement de tuer l’animal qui parvient à une base scientifique américaine totalement isolée dans ce territoire hostile. Le pilote et le sniper, acharnés au mépris de tous les dangers à vouloir la perte de la bête, sont finalement tués plus ou moins accidentellement par l’équipe qui ne comprend pas une telle obstination. Après quelques recherches, un petit noyau d'entre eux décide d’aller enquêter à la station norvégienne d’où étaient issus l’hélicoptère et ses occupants. A leur arrivée, stupeur, ils découvrent les lieux totalement dévastés. Ils récupèrent un cadavre fondu qu’ils ramènent à leur campement…

 

          1982. Carpenter va enfin lancer son premier film co-produit par un grand studio. Tout est réuni pour faire de ce film un petit bijou de la terreur. Remake du film « La Chose d’un Autre Monde » (produit et peut-être même réalisé en douce par Howard Hawks - rien de sur à ce sujet) auquel il est en tout point supérieur, « The Thing » se détache de son alter-ego par sa qualité d’effets spéciaux, son sens de la mise en scène et principalement la terreur qu’il inspire. A ses commandes, l’inévitable John Carpenter, qui une fois de plus, réussit à nous emmener dans un univers verrouillé d’où personne ne peut s’échapper. Ainsi, l’être principal monstrueux ne peut être identifié, et l’enfermement des personnages dans ce huis-clos angoissant prend des proportions cauchemardesques. Le budget est conséquent, Carpenter a le vent en poupe, il va déployer des trésors d’ingéniosité et se refuser à tous compromis. De l’avis des spécialistes, il s’agit de l’un de ses meilleurs films à tel point que le réalisateur le considère comme son chef d’œuvre. Mais quelques temps avant  la sortie de « The Thing », le cinéaste tombe sur une thèse portant sur les films d’horreur exposant qu’actuellement seuls les adolescents de sexe masculin se déplacent encore pour voir cette catégorie de films qui tombe dans la désuétude. Carpenter doute. Mais ce qu’il ne sait pas encore, c’est que face à lui, va se retrouver un long métrage qui va pilonner tout sur son passage, aux antipodes de son film. Il s’agit de «  E.T. »  de Steven Spielberg. Alors que ce dernier présente un extra-terrestre gentil, Carpenter en expose un méchant. Alors que l’histoire de Spielberg est optimiste, celle de Carpenter terrifie. Et au début de l’ère Reagan, le public occulte ce qui se rattache à la dureté. Le choc est très rude pour Carpenter qui prend en pleine face l’échec de son film. Incroyable revers d’ailleurs, car le réalisateur s’était investi corps et âme dans cette épreuve. Même si cet échec l’affecta grandement, l’incroyable succès tardif des sorties dvd le laisse toujours très amer.

Le chien poursuivi dans la neige par l'hélico

          Carpenter utilise une nouvelle fois la même structure dans son film : huis-clos, espace de temps restreint, un danger menaçant et une frayeur allant crescendo. Recette simple mais efficace de la part du réalisateur. Pour résumer, l’équipe isolée en montagne est confrontée à une « chose », une entité d’origine extra-terrestre dont on ne verra jamais en fait la vraie nature. Cette « chose » ingurgite les humains, puis en fait une copie conforme qui tour à tour va absorber l’humain qui sera à sa portée. Grosso modo, « la chose » va se multiplier tandis que le groupe d’humain sera décimé. On comprendra avec stupéfaction lors d’une métamorphose que « la chose » n’a pas fait uniquement un voyage sur Terre mais a également visité d’autres planètes qu’elle a du détruire. Angoisse, terreur, et psychose font naître chez les survivants des réactions ultimes qui tranchent avec leurs comportements habituels. Le taux de testostérone étant particulièrement élevé (il n’y a pas une femme dans le film, excepté sur des posters), pas de débats sempiternels, on agit et on discute après. Les rescapés doivent s’épauler tout en se méfiant de leurs compagnons car personne ne sait en qui se cache « la chose ». La tension ultime devient palpable à chaque instant à mesure que le petit groupe se scinde. 

Le vaisseau spatial de la "chose"

          Carpenter réussit le tour de force dans son film de créer des situations totalement inattendues. Il parvient une nouvelle fois à filmer un isolement de personnages dans une claustrophobie aiguë mais il s’attache également à donner à son œuvre une forme originale qui fera école et dont s’inspirera James Cameron (« Terminator  1 et 2 », « Titanic »…). L’histoire se déroulant en Antarctique, aux fondus noirs traditionnellement employés se substituent pour la moitié d’étranges fondus blancs. La neige n’est pas blanche et immaculée, mais légèrement enluminée de couleurs virant au gris, en passant par le rose ou le bleu, ces nuances insolites renvoyant à des concepts primitifs (peur, violence, paralysie, mort…). L’expérience de Carpenter en série B le place à un niveau de pratique bluffant tous les réalisateurs sortis des grandes écoles de cinéma. Il n’hésite pas à utiliser trois fois de suite le même rail de travelling dans une même séquence, et à donner une vue panoramique en filmant l’hélicoptère qui suffit à nous présenter la base. Il fait passer la caméra derrière un personnage adossé contre un mur tranchant ainsi avec les règles élémentaires. L’impression de frayeur angoisse tellement les spectateurs que quelques plans neutres donnent un caractère de caméra subjective. Deux scènes se détachent particulièrement pour encenser le réalisateur. Le moment où Norris doit se faire réanimer et le test sanguin, où par deux fois Carpenter détourne l’attention du public.  Lors de la réanimation, MacReady occupe pratiquement l’intégralité des plans, mais des cadrages astucieux nous montrent Clark essayant de s’emparer d’un scalpel. La tension est intense, mais le choc ne viendra pas du tout de ce que l’on attend. Pour cette scène Carpenter aurait demandé l’aide d’une personne réellement amputée des deux bras (Joe Carone) qui avait sur le visage le masque de l’un des protagonistes. On ne remarque d’ailleurs absolument pas la doublure. Quant au fameux test sanguin, qui est considérée comme une scène anthologique, Carpenter installe dix personnages dans une même pièce, avec quatre enjeux simultanés (les renvois de soupçons entre Garry et le Dr Copper, l’arbitrage de MacReady, le début de rixe entre Childs et Palmer, la fuite de Windows). La couverture des caméras est parfaite, et pourtant elles ne sont pas disposées au centre d’un cercle invisible délimitant le champ des protagonistes. Sans compter le coup de théâtre, qui arrive évidemment au moment le plus inattendu. Enfin Carpenter développe quelques ficelles qui ont largement faites leurs preuves (chien bondissant sur Clark, silhouette fugitive passant rapidement dans le champ devant Fush…).

MacReady avec des batons de dynamite

          Kurt Russel (MacReady dans le film), le « Snake Plisken » de « New York 1997 » domine la distribution du film de main de maître. Incontestablement le meilleur acteur à la manière « Clint Eastwood », il incarne parfaitement le leader taciturne d’un groupe qui se désagrège en proie aux doutes les plus extrêmes. Mis à l’index par ses amis, il fera preuve de courage et d’imagination pour reconquérir sa place de chef.  Plus fort encore que « Alien », la conclusion terrifiante auquel Carpenter n’a pas voulu céder d’un iota aux caprices d’Hollywood pour une fin positive ne fait que renforcer l’aspect dramatique qui se joue. Carpenter terminera son film sur les genoux (une bonne partie de l'équipe se  retrouvant à l'hôpital complètement usée après des mois de tournage) et laissera une conclusion ouverte, laissant le champ libre à toutes les spéculations. « Alien » jouait sur la peur et l’on ne voyait jamais vraiment le monstre tandis qu’ici, non seulement on ne voit pas le monstre dans sa nature la plus basique, mais paradoxalement on le croise dans les regards de chacun jusqu’aux transformations les plus atroces. Indémodable, encore une fois, voilà un film qui marquera le temps de son empreinte. Car même si « The Thing » est un excellent film d’horreur, c’est également un très bon film tout court. Dans cette catégorie marginalisée, il est de bon ton de critiquer facilement un film, mais là, la négativité ne peut trouver sa place, à moins d’être d’une mauvaise foie évidente. On n’échappe pas à l’avalanche de questions comme par exemple « la chose » est-elle douée d’intelligence (a-t-elle pilotée le vaisseau spatial ou était-elle enfermée dedans ?), est-il légitime de tuer pour sa propre survie (Mac Ready abat l’un de ses amis qui allait l’agresser pour le désarmer), sans compter le dénouement final qui augure une suite dont Carpenter se targue à réaliser… plus tard ! Si le film fut malheureusement un échec au moment de sa sortie, l’engouement quelques années après amena à reconsidérer de nouveau l’éventualité d’une suite. Devenu incontournable pour tout cinéphile qui se respecte, les producteurs se déclarent maintenant prêt à faire un pont d’or pour le cinéaste. Mais la rancune de Carpenter est tenace, bien au delà du plaisir que ses fans pourraient éprouver à regarder un opus tant attendu.

    "The Thing" et son adaptation bd

          A noter que ce n’est pas Carpenter qui a composé la musique du film contrairement à son habitude mais Ennio Morricone qui plagie littéralement l’esprit musical du cinéaste. Sa faculté d’adaptation à l’univers de Carpenter est éblouissante et encore aujourd’hui, bon nombre de critiques confirmés sont persuadés que John à réaliser la musique. Le travail collossal qui attendait le réalisateur ne lui permit donc pas de s’illustrer sur le plan musical, cette tache fut déléguée à Ennio Morricone qui écrivit l’une des partitions les plus froides et austères jamais réalisées pour le cinéma. Différentes démos furent composées au synthé et Carpenter n’en conserva que peu de scores, ce qui tendit les relations entre les deux hommes. Ennio Morricone plaça alors les morceaux inutilisés dans l’album musical du film.

          Carpenter vient ici de prouver qu’un très bon film d’horreur, avec des scènes chocs et hallucinantes peut devenir un vrai film de qualité.