Max Reinz (James Wood) dirige une petite chaîne de télé sur
un réseau câblé. Il propose à ses téléspectateurs des séquences chocs
introuvables sur d’autres canaux, souvent pornos et extrêmes, qu’il pirate la
plupart du temps. Un jour, il enregistre un programme intitulé « Videodrome »,
dont les scènes de tortures sont tellement réalistes qu’il en demeure
profondément troublé au point de se demander si elles ne sont pas réelles. Mais
il constate après ce visionnage être victime d’hallucinations, qui peu à peu
perturbent son métabolisme. Le programme « Videodrome » modifie l’esprit puis le
corps humain. Qui est derrière cela ? Que va alors faire Max
Reinz qui semble être le cobaye tout désigné pour une telle
expérience ?
David Cronenberg, le réalisateur, commence tout doucement à
placer les témoins de son film en présentantl’influence négative que peuvent avoir les médias télévisuels sur les
téléspectateurs. Illustré par un débat dans le film, le héros ne se voit
nullement culpabilisé par une éventuelle éthique qu’il pourrait avoir vis-à-vis
de son public. Peu importe la manière et les moyens pour y arriver, Max
cautionne ses actes de manière totalement inconsciente. Ainsi à l’heure où le
piratage se voit sanctionné et les perversions les plus diverses apparaissant
sur le net, Cronenberg fait de son anti-héros un personnage peu sympathique en
jouant sur cet air malsain qui le dessert. Ce coté antipathique se renforce
lors des visions de Max, avec notamment les scènes qui indiquent ses dépravations
inconscientes. De la simple gifle à sa secrétaire, à la séance sado-masochiste
où il fouette la télé en passant par le baiser aux lèvres géantes, Max dévoile
facilement son attitude immorale. Pourtant au moment où l’on comprendra que Max
est le jouet de deux organisations qui se livrent un combat sans merci, les
spectateurs prendront fait et cause pour lui, parce qu’il subit sans pouvoir
réagir malgré la toute bonne volonté qu’il a de ne pas voir céder son libre-arbitre.
Après avoir basculé dans l’hallucinatoire (mais si Cronenberg s’était arrêté à
ce niveau, le film aurait été trop facile et le cinéaste taxé de démagogue en
voulant exploiter ce filon bien trop aisé) on rebondit dans le fantastique avec
des introspections dans la chair dont est friand le cinéaste. Le héros pense
avoir égaré par exemple son pistolet dans son ventre. Mais est-ce le fruit de
son imagination ? Etant sujet à des hallucinations, c’est la recherche de
l’arme qui guide les observateurs que nous sommes, car le revolver a bel et
bien disparu. Il ne se trouve pas perdu dans les coussins du canapé. A chaque
fois à la limite du rêve, même jusqu’à la scène finale, le réalisateur se joue
de cette histoire sur le fil de la réalité. Si la tumeur explique les
hallucinations, elle n’en demeure pas moins fantastique de par la manière dont
elle est apparue dans le cerveau de Max. Une fois cette évidence admise, il ne
faut pas voir le film comme un songe, mais véritablement comme la réalité. Max
n’est pas dans un simili cauchemar. Une trame identique est d’ailleurs mise en
place par le cinéaste dans « eXistenZ ».
Max et la bouche
D’un film une nouvelle fois précurseur, plaçant avant
l’heure les technologies cybers , et malgré un côté kitch purement année 80,
Cronenberg dénonce ouvertement l’influence négative de la télévision. Que ce
soit par le piratage dont est adepte Max et qui en fait se retourne contre lui,
par l'attirance de la population pour cet outil de communication qu’est la
télévision mais qui ici avilie, Cronenberg balance une quantité de thèmes
destinée à faire réagir les spectateurs. Ainsi le spectre de Big Brother n’est
pas loin, avec ces téléviseurs bombardant d’images les individus. Personne n’y
échappe, même pas les plus démunis car chaque classe de la population est
visée. L’un des groupes oeuvrant pour l’asservissement mental est une société
d’optique, tout bonnement spécialisée dans la création de paires de lunettes.
Il y a donc toujours cet « œil » qui scrute et observe pour mieux
nous contrôler. Le message est clair, il ne faut pas rester inactif devant
l’œil de la télé, qui va jusqu’à offrir des snuff movies. Et on ne doit pas
vivre uniquement par écran interposé, le virtuel n’offrant que peu d’espoir
finalement.
La
main robotisée. Les scènes de mutation sont très
impressionnantes, comme toujours chez Cronenberg (c’est d'ailleurs un quasi
leitmotiv dans tous ses films). Ainsi le héros se voit doté d’une main-pistolet
biomécanique. Le flingue est soudé à la main, les balles tirées sont
dévastatrices.
Les effets spéciaux absolument incroyables servent à donner
corps aux plus profondes ambitions de Cronenberg. Ce dernier place encore une
nouvelle fois ses délires vers la mutation de la chair, la transformation de
l’être. Sans en indiquer concrètement quelle en sera sa nature, Cronenberg
laisse entrevoir que le héros va finalement muter pour accéder à un statut bien
supérieur. Mais à cela, pas d’indications, on ne sait pas si cette évolution
est physique ou spirituelle… ou rêvée. Le héros va être manipulé, à la
manière d’une programmation de magnétoscope. Pour être dirigé, il va avaler par
son ventre, au sens propre du terme, une K7 vidéo qui contient les instructions
et les pouvoirs nécessaires pour réaliser des objectifs meurtriers que ses
commanditaires lui demandent d’exécuter. Il devient alors esclave. Lui qui
prônait le sado-masochisme de ses émissions, il va en devenir la victime. Son
corps doit se transformer jusqu’à l’aboutissement final de la chair.
Parviendra-t-il à faire volte-face contre ceux qui le dominent ?
L'effet
dévasteur des balles du pistolet bio-mécanique
Le film ne se plait pas à donner d’explications, mais des
interprétations que chacun peut adopter selon lui-même. Le film plait, car une
nouvelle fois, il ne ressemble à rien de connu. Mais le film n’est pas QUE cela.
C’est aussi une réflexion sur la manipulation par l’image, un thème on ne peut
plus d’actualité. La mise en garde n’est pas fortuite, et colle parfaitement au
monde actuel, la guerre du Golfe étant passé entre-temps avec CNN qui ne
montrait que ce qui pouvait enorgueillir l’Amérique. Regarder ce film c’est
aussi réfléchir sur l’impact actuel de notre télévision. Et se dire qu’il faut
toujours rester lucide. La force de Cronenberg est alors de nous présenter un
excellent film, philosophique, inquiétant, fantastique, d’action qu’on peut
regarder à plusieurs degrés… Tout sauf humoristique. Et qui force à réfléchir.
Pour les fans de Cronenberg, il s’agit de son meilleur film. Point.